En janvier dernier, un jeu vidéo amateur et gratuit, créé par une américaine, avait suscité beaucoup de critiques. Le scénario du jeu ? Une jeune femme se balade en rue et se fait accoster par de nombreux hommes, qu’elle tue avec la mitraillette qu’elle tient à la main. Une tombe avec un « RIP » et la phrase avec laquelle il a accosté la jeune femme apparaît alors. Le jeu est accusé de « promouvoir une logique rétrograde entre les deux sexes » et de « laisser penser que tous les homme sont des violeurs en puissance ». Allons un peu voir du côté des jeux ciblés « mecs » (même si beaucoup de filles y jouent et heureusement), s’ils ne promeuvent pas une logique rétrograde entre les deux sexes.
Tout est parti d’une blague. Suyin Loouin, jeune artiste sino-américaine, a décidé de créé le jeu vidéo « Hey Baby: it's payback time boys » après avoir été accostée une fois de trop en pleine rue. Elle a donc imaginé un jeu dans lequel une femme tue les hommes qui l’accostent un peu trop lourdement. Pour se défouler et en rire. Parce que le jeu n’est absolument pas réaliste. Il est même plutôt mal fait. Et puis, dans la vraie vie, vous ne verrez pas une pierre tombale apparaître quand quelqu’un meurt ni des hommes draguer lourdement une femme armée jusqu’aux dents. On est donc clairement dans la fiction d’un jeu. Rien à voir avec les grosses productions du secteur qui utilisent le même budget (parfois plus) qu’un film hollywoodien. De plus, le jeu est accessible gratuitement sur un site. Il n’est donc pas question de se faire de l’argent dessus.
Violer une mère et ses deux filles pour gagner
Pourtant, Eleanor Mills s’insurge dans son article paru dans le Courrier International. Et fait des émules. L’avatar féminin du jeu tirerait sur des hommes pour la seule raison qu’ils en sont. C’est faux. On ne tire pas sur n’importe quel homme qui marche dans une rue dans ce jeu. On peut tirer sur des hommes qui disent des phrases comme « je veux te lécher partout » ou « je vais te violer ». Ce n’est pas parce qu’ils sont des hommes qu’on leur tire dessus, mais bien parce qu’ils accostent et agressent verbalement l’héroïne. De plus, le choix nous est laisser de dire « merci », et un nuage de cœur violets, kitsch à souhait, apparaît. On n’est donc pas obliger de tuer.
Par contre, le jeu japonais que Mme Mills mentionne, dans lequel le joueur suit une mère et ses deux filles et les violent dans le métro est clairement problématique. Ici, on agresse ces femmes uniquement parce que ce sont des femmes. Elles n’ont rien fait qui le justifie (comme toutes victimes de viol). Alors, oui, le site Amazon l’a supprimé de son catalogue. Mais un jeu se télécharge très facilement et il est impossible de le rendre complètement inaccessible. Le fait de l’interdire participe même au buzz et attise la curiosité. Dans les autres jeux qu’elle mentionne, on viole des bonnes sœurs et on les ligote sur les rails de chemin de fer (Red Dead Redemption). Là encore, qu’est-ce qu’un groupe de bonnes sœurs a bien pu faire pour mériter ça ? Encore une fois, on parle clairement d’agresser des femmes parce que ce sont des femmes. On n’agresse pas des prêtres ou des pasteurs. On ne s’en étonnera pas puisque le monde de la réalisation de jeux vidéo reste en majorité masculin.
Réglementer les relations entre les sexes ?
Selon Eleanor Mills, le fait que des jeux « masculins » utilisent la violence sexuelle ne doit pas justifier que l’on glorifie une femme qui a le même genre de comportement. En quoi est-ce que les actions de l’héroïne de ce jeu sont-ils glorifiés ? Elle ne passe pas de niveau, elle ne gagne pas de points quand elle tue. Il n’y a aucune récompense et même le choix de ne pas tuer. Vous en connaissez beaucoup des jeux vidéo dans ce genre ?
Mme Mills ne veut pas vivre « dans un monde qui réglemente à ce point les relations entre les sexes qu’aucun homme ne peut se sentir le droit de faire un commentaire sur mon aspect physique dans la rue. L’un des grands plaisirs qu’il y a à vivre en Occident c’est que chacun de nous est libre de regarder et, jusqu’à un certain point, de faire des commentaires ». Outre le fait qu’elle cible l’Orient et les peuples arabes, cette phrase justifie qu’un homme (parce que je ne connais pas de femmes qui font des commentaires sur le physique des hommes en rue) dise à une femme qu’elle est « bonne », qu’il va « la violer », ou qu’il y a « du monde au balcon ». Peut-être que cela plaît à Eleanor Mills. Mais faites un sondage et demandez aux femmes autour de vous si c’est agréable de se faire regarder comme un morceau de viande en rue, et d’avoir droit aux commentaires, souvent plus que déplacés, des hommes. Je n’en ai rien à faire que cet homme, qui ne me verra plus jamais dans sa vie et que je ne verrai plus jamais dans ma vie, se permette de me dire que « je suis chaude », que « je sens bon » ou ma robe « me va bien ». Ce n’est pas à eux de me juger sur mon apparence physique. Parce que si les commentaires positifs sont parfois au rendez-vous (et encore, être chaude est-il un compliment ?), il ne faut pas oublier non plus que certaines femmes reçoivent des critiques aussi. D’hommes qui n’ont pas à leur en faire.
La rue, un espace masculin
Toutes les femmes ont pourtant un jour fait cette expérience d’être accostée par un, ou des, homme(s) dans la rue. Pourquoi est-ce aussi répandu ? La rue est pourtant censée être un endroit neutre, ce n’est ni un bar, ni une discothèque, ni le site Meetic. Les femmes qui s’y promènent ont sûrement d’autres choses en tête que de se prendre un « je vais te violer ». Certains avancent que l’espace public est encore considéré comme un espace typiquement masculin. Les femmes n’y sont acceptées que comme hôtes. Elles doivent avoir un certain comportement, être habillée d’une certaine manière… sous peine d’être très mal considérées. Et bien sûr, elles sont là pour l’amusement de ces messieurs, qui nous rappellent et nous remettent à notre place quand ils nous traitent de « sexy », « bonne ». Bien sûr, tous les hommes n’accostent pas des femmes de cette manière. Mais cela arrive néanmoins fréquemment. On peut même parler d’une recrudescence en ce moment, et cela va même plus loin, il arrive même qu’ils se masturbent en plein métro ou aient les mains baladeuses. Mais pour Eleanor Mills, ce n’est qu’une irritation mineure. Evidemment qu’on ne passe pas nos vies à se faire accoster par des « dragueurs lourds » (et après quoi, on va dire qu’ils aiment les femmes). Le simple fait que cela arrive est dérangeant. Et ce n’est pas un jeu vidéo gratuit et mal fait qui va changer ça. Ne vous inquiétez pas Mme Mills, vous allez pouvoir profiter encore longtemps des commentaires masculins.
Lire Playboy pour gagner de la vie et se payer des prostituées
Justement, parlons-en des jeux masculins. Mme Mills estime que la violence sexuelle n’a pas pénétré le secteur des jeux vidéo grand public. Dans GTA, on peut se payer une prostituée avec l’argent gagné en cambriolant des banques, en tapant des passants, en vendant de la drogue. La voiture bouge en rythme et le sexe soigne le personnage joué (un bon moyen de glorifier ce type de comportement). On peut même écaser avec sa voiture la prostituée après. Dans Dead Rising 2, le monde est rempli de magazines et d’affiches Playboy (la parodie). Pire, on gagne de la vie en prenant le temps, en pleine attaque zombie quand même, de lire ces magazines. Un scénario très élaboré et cohérent. Dans Lara Croft, l’idée du personnage en soi est bonne, mais son aspect physique (graphique ici) est clairement conçu pour plaire aux mecs. Gros seins, tenues sexy… elle se bat même en talons et robes moulantes. Dans God Of War, le héros peut se « taper » des femmes de manière interactive (il faut appuyer en rythme sur des boutons pendant l’acte sexuel), ce n’est même pas suggéré. Tous sont des jeux grands public
GTA et la prostitution
Une partie "soft" de God Of War
C’est même une tendance dans les jeux vidéo d’aujourd’hui. Les jeux sont de plus en plus réalistes, entraînant confusion entre vie réelle et fiction. Du coup, les relations sexuelles aussi, même quand elles ne sont pas consenties, même quand les scènes se rapprochent de la pornographie. Le sexe fait vendre même des jeux vidéo. Le problème des jeux étant que c’est interactif. Quand votre personnage viole une femme, vous tenez les commandes. Le joueur choisit de violer, dans un environnement très proche de la réalité, par exemple.
Des Aliens essaient de piquer les terriennes chaudes
Preuve s’il en est que certains hommes attendent clairement de « mater de la meuf » dans les jeux vidéos : le jeu Mirror’s Edge, pour lequel les critiques toujours masculines trouvaient l’héroïne « pas assez sexy ». Pour sauter des toits, pour réussir ses missions, elle est en effet très mince, sportive, habillée normalement. Dans Batman : Arkham City (la suite de Batman : Arkham Asylum), ils ont changé l’aspect du personnage d’Harley Quinn, la copine du Joker, pour la rendre plus sexy, au grand plaisir de certains joueurs, qui « la trouvent mieux comme ça ».
Un nouveau jeu va bientôt sortir, Duke Nukem Forever (« Duc Atomise-les Pour Toujours» (sic)). Les femmes dans le jeu sont stripteaseuses ou prostituées (c’est un thème vendeur la prostitution). Il n’y a pas d’autres métiers pour les femmes (donc si tous les hommes sont des violeurs en puissance dans « Hey Baby », toutes les femmes sont des prostituées/stripteaseuses en puissance dans ce jeu-là). Elles sont faibles, ce sont des cibles faciles (pour des Aliens qui essaient de piquer les terriennes chaudes ) et elles ont besoin du héros pour être sauvées. Une fois sauvées, comment remercier le héros ? En couchant évidemment. C’est d’un très bon goût. L’édition spéciale, avec bonus (cool, on imagine déjà), s’appelle Balls of Steel Edition, littéralement, « l’édition des couilles d’acier » (re-sic). La virilité se mesure au nombre de prostituées et de stripteaseuses que le joueur se tape et au nombre de monstres qu’il tue, dans un environnement très réaliste. Nous voilà de retour à l’homme de Croc Magnon.
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Alors, tous ces jeux ne promeuvent-ils pas une logique rétrograde entre hommes et femmes ? Bien sûr, aucun ne reçoit la moindre critique. Surtout pas dans le Courrier International. Les jeux vidéo rapportent même plus que tous les films Hollywoodiens réunis. On parle de plusieurs milliards. Alors, quand une femme crée un jeu kitsch pour se défouler et rigoler, j’ai du mal à comprendre les critiques.
Pour finir en beauté, je parlerai du jeu Portal, un des meilleurs jeux de l'année, dans lequel le héros principal est une femme, tout ce qui a de plus normal. Elle n’a pas d’énormes seins, elle porte un t-shirt et un jogging. Elle n’a pas un rôle stéréotypé et n’a pas besoin d’hommes pour réussir ses missions (d’ailleurs, c’est simple, elle est le seul être humain du jeu). Enfin un jeu qui change et est très réussi. Beaucoup d’hommes jouent d’ailleurs à ce jeu, et ne materont pas des femmes et ne verront pas des gens coucher ensemble avec profusion de seins, mais essaieront juste de réussir les missions. Ca devient rare, trop rare.
Pour en savoir plus :
L'article d'Eleanor Mills
Sur les femmes dans les jeux vidéo :
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