jeudi 23 juin 2011

Femmes au volant, les clichés au tournant

Le mouvement Women2Drive en Arabie Saoudite nous rappelle que les saoudiennes n’ont pas le droit de conduire. Si ce combat est des plus légitimes, et doit être soutenu, il ne faudrait pas stigmatiser un pays. Ici, on se moque encore trop souvent des femmes au volant et on remet en cause leur capacité à conduire. Parce que le machisme se déploie sous différentes formes.




En Arabie Saoudite, une femme qui conduit risque la prison. En effet, il faut posséder une licence pour conduire, licence qui n’est pas accessible aux femmes. Elles doivent donc entièrement dépendre d’hommes pour se déplacer en voiture, même en cas d’urgence. Les médias belges ont fait grand cas de cette pratique, en médiatisant le combat du mouvement Women2Drive. En Belgique, une femme peut conduire, certes. Mais à entendre le dicton populaire : « femme au volant, mort au tournant », cela ne plaît pas à tout le monde. Lors d’une discussion dans un de mes cours à l’université, j’ai demandé aux garçons de ma classe s’ils laisseraient leur copine conduire leur voiture. Et pour certains, cela à été un « non » catégorique, sous le prétexte de « ma copine ne conduit pas comme moi ». Donc, elle conduit mal. Donc, elle est dangereuse. Donc, elle risque d’abimer ma voiture. Une idée présente dans l’esprit de nombreux hommes dans notre société. Et pourtant, les études montrent que les femmes roulent plus prudemment. D’ailleurs, elles paient moins cher leur assurance voiture. D'ailleurs, je préfère être dans cette voiture, que dans celle-là.




Imaginons maintenant que la copine de ces garçons doit, par exemple, prêter sa voiture à quelqu’un ou se fait rentrer dedans alors qu’elle n’est pas en tort. Elle se retrouve sans voiture. Et si son copain ne la laisse pas conduire, mais préfère la conduire partout où elle le demande (et où il le veut bien), on se retrouve presque dans la même situation qu’en Arabie Saoudite. Sa copine devient dépendante de lui parce qu’elle est une femme, dont une mauvaise conductrice supposée.





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Derrière ces deux situations différentes, dans deux pays différents, se cache la même chose. L’idée que les femmes ne savent pas conduire. Ou ne peuvent pas conduire. Pourquoi ? D’abord, il faut savoir que conduire signifie avoir une indépendance accrue. En voiture, vous pouvez aller où vous le souhaitez, quand vous le voulez. Personne ne peut contrôler vos déplacements. Ma mère m’a souvent dit : « Sur la route, c’est là que je suis l’égale d’un homme. C’est le seul endroit où les règles sont les mêmes pour tout le monde ».



Les femmes n’y comprennent rien



J’ai aussi souvent entendu, dans la bouche d’hommes : « les femmes ne comprennent rien aux voitures », « elle ne sait même pas tenir un volant », « elle va caler, c’est sûr »… comme si les hommes voulaient se garder un droit sur cette technologie. Est-ce que ces hommes savent comment fonctionnent une machine à café ou une machine à laver ? Savent-ils tenir un fer à repasser ? L’histoire ne nous le dit malheureusement pas (mais on peut supposer que non, n’est-ce pas ?). C'est bien dommage. Il y a-t-il des technologies réservées aux femmes et d'autre aux hommes ? Quel serait le critère pour une "technologie de femme" ? Quand cela concerne la tenue de la maison ? Très évolué comme manière de penser.




Qu’est-ce que la voiture a de si spécial pour que les hommes veuillent se la réserver ? Qu’est-ce que la voiture a de si spécial pour que les hommes la valorisent autant ? C’est peut-être parce que les hommes considèrent la voiture comme un objet de puissance. On peut rouler vite, en choisir une avec un gros moteur, dépasser les autres. Elle est aussi un signe d’un certain statut social. Celui avec la grosse voiture de sport a mieux réussi dans la vie que celui avec la petite voiture citadine.




Les femmes, plus attirées par les voitures de sport


Et c’est aussi celui avec la grosse voiture de sport qui se fera les plus belles filles, c’est bien connu. De quoi créer la jalousie et la convoitise dans le chef des autres hommes, qui veulent eux aussi se faire les plus belles filles. Après tout, les femmes sont toutes des croqueuses de diamants, c’est aussi bien connu. En tout cas, c’est confirmé par une étude scientifique, sans aucunes nuances, qui explique que LES femmes sont plus attirées par les hommes qui possèdent une voiture de sport. Etant une femme, et n’en ayant rien à faire de la voiture des garçons avec lesquels je sors, je vous le demande, dois-je m’inquiéter ? Suis-je vraiment une femme ? Un tel manque de nuances dans une étude dite scientifique est à dénoncer.


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La voiture est donc associée au sexe. Cela se voit dans le vocabulaire spécifique utilisé, qui emprunte des mots du corps féminin pour parler de la voiture, et vice-versa. Par exemple, l’arrière d’une voiture est appelé « le cul ». Autres transferts, mais dans l’autre sens cette fois, on appelle la poitrine des femmes, « les pare-chocs », ou « l’airbag ». Classe.




La voiture fait viril, masculin. Les courses automobiles sont encore un bastion d’hommes. La voiture donne un statut, une assurance. Elle est associée à la puissance, mais aussi à la puissance sexuelle.




La voiture, sujet de conversation par excellence



La voiture est aussi le sujet de conversation par excellence pour les hommes, comme la pêche ou la chasse, par lesquels ils excluent les femmes (qui pourtant roulent elles aussi), et les hommes qui ne s’y intéressent tout simplement pas, et par lesquels ils montrent leur virilité. « Regarde cette voiture, c’est une Machin Bidule, modèle 2004, moteur XXX123, trooop balèèèze », « Ah ouais, mais non, moi je préfère le modèle 2005, et le moteur SX124, plus classe ». Le thème de la voiture est un sujet que tous les hommes devraient apprécier. Tous les hommes devraient pouvoir disserter des heures sur les différents modèles de voiture, comme toutes les femmes (c’est connu…) devraient adorer discuter des heures sur les bébés et les différentes marques de laits maternels existantes sur le marché.




Pour Pierre Bourdieu, on peut expliquer ce besoin d’avoir des thèmes spécifiquement masculins dans « la peur de perdre l’estime ou l’admiration du groupe, « de perdre la face » ». Si vous êtes un homme, il faut vous intéresser aux voitures, et d’une certaine manière, sous peine de « se voir renvoyer dans la catégorie typiquement féminine des « faibles », des « mauviettes », des « femmelettes », des « pédés », etc. ». Il explique aussi que « la virilité est une notion éminemment relationnelle, construite devant et pour les autres hommes et contre la féminité, dans une sorte de peur du féminin, et d’abord de soi-même » (dans La domination Masculine, Edition du Seuil, 1998, p.78).



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L'incompétence apprise




Le danger de petites phrases comme « les femmes ne savent pas conduire » (qui peuvent sembler innocentes), tout comme le danger de dire à une femme qu’elle n’aura pas sa licence pour conduire parce qu’elle est une femme réside dans l’incompétence apprise. Un témoignage du livre de Bourdieu, toujours : « Plus j’étais traitée comme une femme, plus je devenais femme. Je m’adaptais bon gré mal gré. Si j’étais censée être incapable de faire des marches arrières ou d’ouvrir des bouteilles, je sentais, étrangement, que je devenais incompétente. Si la valise était trop lourde pour moi, inexplicablement, je la jugeais telle, moi aussi » (dans La domination Masculine, Edition du Seuil, Paris, 1998, p.88).



De même, on estime que les femmes ne savent pas rouler, mais on apprécie de les voir en mini-jupe au Salon de l’Auto. Tant qu’elles restent hors de la voiture sans doute. La femme faire-valoir, voilà un sujet bien plus porteur et bien plus intéressant que la femme indépendante, qui roule en faisant bien moins d’accidents ou, quand elle en fait, des beaucoup moins graves.



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Les mentalités, que ce soit en Arabie Saoudite ou en Belgique, doivent encore évoluer, c’est une évidence. Si en Arabie Saoudite, des femmes osent braver les interdits, au risque de faire de la prison, il ne faudrait pas oublier ici non plus que le règne des phrases et autres dictons n’a pas sa place dans une société qui cherche plus d’égalité.




En attendant, qui visite une usine Audi sans la Reine ?









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Homme au volant= accident

1 commentaire:

  1. Et sinon moi je suis un cas exceptionnel, les gars de mon entourage me prêtent leurs voitures ^^
    Et tant que j'y suis, très bon blog.
    Je suis juste étonnée que tu n'aies pas plus de commentaires

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